Accueil Editorial Ce langage qui ne convainc plus

Ce langage qui ne convainc plus

DU temps du président déchu, ses conseillers lui recommandaient de museler les voix et de censurer pour dissimuler la vérité,  de peur de créer la panique en admettant certains faits saillants de l’actualité. Maintenant, depuis la Révolution, les présidents, les chefs de gouvernement, les ministres et les élus nous tiennent un discours de vérité. Mais ces vérités dont ils nous faisaient part servaient uniquement à réduire au silence, d’une façon plus éloquente, le peuple. C’était pour dire que la Tunisie est dans une crise économique et financière. C’était pour dire que cette crise était grave, qu’elle allait durer, qu’elle aurait des conséquences sur la croissance, sur le chômage, sur le pouvoir d’achat. Et que l’on serait amené à faire des coupes dans les pensions de retraite, dans les salaires ou d’entamer des mesures d’austérité.

C’était pour dire que l’Etat tire le diable par la queue et que ses caisses sont vides. C’était pour dire que l’État ne pouvait pas indéfiniment financer les caisses sociales, assurer un service public de qualité. C’était pour dire que les Tunisiens doivent encaisser et être patients. C’était pour dire que la menace terroriste était grande et que c’est la priorité des priorités.

Mais ce discours de vérité a montré ses limites. Toutes ses limites. Il n’arrive plus à faire avaler des couleuvres aux Tunisiens qui broient du noir à la longueur de journée, chaque journée. Car les citoyens désespèrent et dépriment. D’ailleurs, ils ont adressé un message, leur message, à toute la classe politique lors des dernières élections présidentielle et législatives. Ce message qu’ils ont glissé à travers les urnes et qui ne semble pas encore trouver bon écho.

Ce message est simple et clair : malgré leur patience, malgré leurs sacrifices, les Tunisiens souffrent et continuent de souffrir. Ils déplorent que la transition politique l’ait emporté sur la transition socioéconomique. Ils constatent que les mesures promises pour améliorer leur quotidien ne sont pas allées assez vite ou assez loin. Que leurs enfants meurent dans une indifférence glacée. Que les femmes rurales continuent de mourir sur les routes en allant aux champs. Que tous les espoirs en un avenir meilleur ont volé en éclats. Que le pays est plongé dans une tourmente qui risque d’emporter tout dans son sillage. Qu’aucune perspective n’est tracée pour rétablir la confiance et sauver les meubles. Que les discours des politiciens ne collent pas à la réalité. Et que la vérité, celles des rues, des régions reculées est autre que celle que vous prônez en vase clos, intra-muros, derrière vos bureaux feutrés et vos voitures blindées. Que la peur s’empare chaque jour des Tunisiens en allant au travail ou même en voulant se divertir. Que la mort nous guette au coin de chaque rue, de chaque tournant. Cette peur détruit la confiance, toute confiance, en tous. Et elle paralyse les Tunisiens et tous les moteurs de croissance avec.  Que cette peur porte un nom: c’est la peur pour la Tunisie de perdre la maîtrise de son destin. Et que la seule façon de conjurer cette peur, c’est d’entendre nos vérités, pas celles des élus, des députés ou des gouvernements qui se sont succédé. Et que nier cette peur, c’est se retrancher derrière la Constitution, les chaises ministérielles ou les coalitions des partis à l’Assemblée des représentants du peuple et s’interdire toute perspective d’avenir.

Charger plus d'articles
Charger plus par Chokri Ben Nessir
Charger plus dans Editorial

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *